dette ", pour parler comme au Fonds monétaire, représente un sérieux affaiblissement
de la précédente
stratégie tout court sur le même sujet, en même temps qu'un changement de concept et de méthode.{S} Bien que l'expression de " réduction
de la
dette " utilisée pour la caractériser semble bien dire ce qu'elle veut dire, on a de bonnes raisons de se poser la simple question formulée par le célèbre général : " De quoi s'agit-il ?{S} "
{S}D'abord parce que, subrepticement, on donne à cette expression un sens contraire à la fois à sa définition rigoureuse en langage financier (et cela autant en anglais qu'en français) et à l'usage que vous et moi en faisons communément.{S} Il est rare qu'une inexactitude aussi flagrante de vocabulaire facilite les discussions.{S} Ensuite, parce qu'une grande ambiguïté pesait pareillement sur la portée
de l'ancienne
stratégie tombée sous la coupe
des
initiatives successives et aujourd'hui conjuguées de Mr François Mitterrand et de Mr George Bush, ce dernier exprimant ses intentions à travers son secrétaire au Trésor, Nicholas Brady.{S}
Si j'ai contracté un emprunt
de 300 000
francs auprès
de mon
banquier, ma dette ne pourra se trouver " réduite " que si je lui en rembourse par anticipation, disons, 100 000 francs.{S} Il arrive que le contrat initial stipule un tel remboursement partiel avant l'échéance finale.{S} Cela est de pratique courante, y compris dans les affaires internationales.{S} Quand, en 1986, fut montée tambour battant, sous la pression vigilante
de l'
administration Reagan, la deuxième ou troisième opération de secours financier au Mexique, ce pays s'engagea formellement à restituer dès 1989 une partie des prêts qui lui étaient derechef consentis.{S}
Comme les banques, et pour cause, n'ont rien vu venir quand le moment est arrivé _ cette année _ pour le débiteur de remplir son engagement, marquons au moins ce petit événement (ou non-événement), malgré sa banalité, par une rectification d'ordre sémantique : le " plan Brady " est un plan non de réduction mais de remise partielle
de la
dette.{S} L'appeler par son nom n'a rien de péjoratif.{S} Mais, en évitant de le faire, on ne trompe personne, et en particulier pas les créanciers ni même les actionnaires de ces derniers.{S} C'est à eux probablement que l'on pensait en bannissant le mot de " remise " dont l'un des équivalents en anglais (celui que comme par hasard se sont mis à employer les adversaires
du
plan Brady), " forgiveness " a une connotation encore plus désagréable pour tout capitaliste qui respecte sa poche.{S}
Que ce soit de propos délibéré ou pas, je n'en sais rien, mais les inspirateurs (Maison Blanche et Elysée)
du
programme de remise
de la
dette ont, en ajoutant après coup une demande supplémentaire aux banques, à savoir l'octroi
de nouveaux
crédits, réussi, psychologiquement, un petit coup de maître.{S} Ils obtiendront difficilement, s'ils l'obtiennent jamais, des prêts supplémentaires pour le Mexique, le Venezuela ou le Maroc, mais cette demande a provoqué un tel effet de révulsion sur les créanciers (non seulement on exige d'eux qu'ils reconnaissent, à leur bilan, leurs pertes, mais qu'ils s'exposent à en essuyer d'autres sur le même terrain) que, par comparaison, la remise de dette a cessé de leur apparaître inacceptable.{S}
D'un
mal absolu, on a fait un moindre mal.{S}
ENTRE ces différentes préoccupations, il n'existait, financièrement, aucune contradiction.{S} Le principe est que, _ aussi longtemps qu'une dette n'a pas été remboursée, elle reste due.{S} C'est vrai que à la faveur
des
rééchelonnements (ajournement
de l'
échéance finale), le Mexique, le Brésil et les autres pays débiteurs, si on fait l'addition
de tous leurs
versements
d'
intérêts effectués depuis le début, ont déjà, comme on le dit complaisamment, " remboursé " deux ou trois fois le montant du principal.{S} Mais cette façon de s'exprimer est contraire à la logique financière, voire à l'équité.{S} L'emprunteur qui gère correctement ses affaires gardera à sa disposition (et tirera donc profit)
du
capital qui lui est avancé par le prêteur aussi longtemps qu'il ne l'aura pas restitué à ce dernier.{S} S'il l'a entre-temps dissipé _ pour acheter, par exemple, des biens de consommation, _ c'est son affaire.{S} Tant que le prêteur ne sera pas rentré dans ses fonds, il aura normalement droit à toucher les intérêts.{S} Et cela, théoriquement, jusqu'à la fin
des
temps.{S}
Sous cet éclairage, on comprend pourquoi le rééchelonnement réclamé instamment par les débiteurs incapables de rendre le capital arrangeait aussi les banques créancières, pour autant que le paiement
des
intérêts n'était pas compromis.{S}
D'une certaine
façon, cette solution était la meilleure dont ils pouvaient rêver au sens plein
de ce dernier
mot.{S} Inutile pour eux de chercher de nouveaux placements (exercice toujours risqué) pour un capital qui _ chut ! _ n'existait plus que dans les livres (puisque, dans la réalité, le débiteur l'avait depuis longtemps dépensé) : le rééchelonnement relayé par un autre rééchelonnement, c'était le rêve enfin réalisé
d'une
rente perpétuelle.{S} Et _ manne céleste _
d'une
rente perpétuelle à taux élevé,
de l'
ordre de 9 à 10 %.{S} Mais, dans l'histoire
des
hommes, les titres perpétuels n'ont été durablement honorés que lorsque le taux était durablement supportable.{S} Ce fut le cas au dix-neuvième siècle, ou il ne dépassait pas 3 %.{S}
La preuve que les banquiers s'accrochent à la nostalgie
du
temps aboli dans la perpétuité (sur ce point, au moins, les mortels que nous sommes les rejoignent sans mal), c'est que, dans l'accord mexicain tant vilipendé, leur instinct les porte à accorder leur préférence à l'option no 2, bien qu'il n'y ait jamais loin, dans la gestion courante, entre le manque à gagner et la perte pure et simple.{S} Cette deuxième option ramène le taux à 6,25 %, mais maintient intégralement sur le papier la valeur
de la
créance rééchelonnée sur trente ans.{S}
Les intellectuels américains ont passé l'été, on le sait, à discuter
de l'
article sur " La fin
de l'
histoire " publié par une jeune philosophe travaillant pour le département d'Etat.{S} Echo
de certaines
controverses germanopratines
des
années 60, la thèse de Francis Fukuyama reprend, en la citant abondamment, celle
du
philosophe franco-russe Alexandre Kojève.{S} Kojève avait décidé de prendre au mot Hegel et de prouver que celui-ci, après tout, avait raison de soutenir qu'en gagnant la bataille de d'Iéna en 1806, sur la Prusse, Napoléon avait scellé la fin
de l'
Histoire, parce que, en puissance, sa victoire contenait l'homogénéisation
de tous les
Etats
du
monde sous l'égide
des
grands principes
de la
révolution française.{S}
En quelque sorte, Kufuyama imagine l'avenir universel sous les traits
de la
vie individuelle de Kojève, dont il écrit dans son article paru dans The National Interest : " La vie de Kojève a été conforme à son enseignement.{S} Croyant que la tâche
des
philosophes était achevée, puisque Hegel avait déjà atteint à la connaissance absolue, Kojève laissa l'enseignement après la guerre pour travailler jusqu'à sa mort comme bureaucrate pour la Communauté économique européenne ".{S} Pour Fukuyama, on assiste à un début de " common marketization "
des
relations internationales désormais vouées à la poursuite
d'
avantages économiques.{S}
SI je me permettais d'évoquer un souvenir, je raconterai ma dernière conversation avec Kojève quelques semaines avant sa mort.{S} Tel Faust qui oublie la science dans les bras de Marguerite, il me parla
d'une
" très jeune japonaise " avec qui il connaissait l'amour le plus complet.{S}
Pour en revenir à nos banquiers d'après leur retour (malheureux pour eux) sur terre, eux aussi crurent entrevoir un monde où l'Histoire n'existerait plus dans la mesure où la pure logique financière aurait imposé à tout jamais, en tout cas pour longtemps, ses lois.{S} Ils se sont heurtés aux réalités
de la
politique.{S} Politique qui refuse l'idée
d'un
temps immobile où les générations futures n'en finiraient pas de payer les intérêts
de
capitaux gaspillés aussitôt qu'empruntés par une génération
de
politiciens naguère courtisés par tout ce que New-York, Londres, Paris comptaient
de
banquiers éminents.{S}
Le vent d'Est souffle favorablement sur l'Allemagne
de l'
Ouest.{S}
D'une
part, la perestroïka soviétique et les réformes tant en Hongrie qu'en Pologne ne peuvent que renforcer les liens commerciaux et financiers, déjà étroits, entre la RFA et les sept pays
du
COMECON.{S} De l'autre, l'afflux
des
réfugiés de RDA va, comme avant la construction
du
mur de Berlin, soutenir la consommation et la production en Allemagne fédérale.{S} Globalement la croissance
de l'
économie en RFA tirera avantage
de ce
double phénomène, ce qui devrait être bénéfique pour la Communauté européenne et le reste du monde.{S}
LE vent de réformes économiques à l'Est profite avant tout à la République fédérale d'Allemagne.{S} Entre 1987 et 1990, ce pays devrait accroître de 40 % ses exportations à destination
de l'
Union soviétique.{S} Partout ailleurs, la RFA confirme sa position de partenaire commercial privilégié
des
pays à économie planifiée.{S} Le secteur
des
machines-outils est le plus grand bénéficiaire
de ce
boom
des
exportations.{S}
L'URSS joue un véritable rôle de locomotive : en 1988, les exportations ouest-allemandes à destination
de ce
pays ont augmenté de 20 % pour atteindre 9,4 milliards de deutschemarks.{S} Selon les prévisions
de l'
Institut de conjoncture de Berlin (DIW), elles devraient atteindre 11 milliards de deutschemarks en 1990, soit leur niveau record de 1985.{S}
A l'exception
de la
Roumanie, cette tendance est confirmée dans tous les autres pays, y compris la RDA, traitée séparément dans les statistiques, puisque il s'agit
d'
opérations interallemandes.{S} Après avoir enregistré un net recul, les exportations
de l'
Allemagne fédérale vers les pays à commerce d'Etat ont retrouvé un rythme comparable à celui
de l'ensemble des
ventes à l'étranger, ayant progressé d'environ 10 % depuis le début
de l'
année.{S}
Toutefois, la part relative
de cette
zone dans le total des exportations
de la
RFA n'a cessé de se réduire : alors qu'elle atteignait 7,2 % en 1975, elle n'était plus que de 4 % en 1985 avant de tomber à 3,5 % en 1988 (4,7 % y compris la RDA).{S} Un résultat bien maigre : des pays comme l'Autriche ou la Suisse achètent à eux seuls plus de marchandises à la RFA que l'ensemble des pays
de l'
Est.{S} Le lourd endettement à lequel sont confrontés plusieurs de ces pays, leur compétitivité insuffisante dans le domaine
des
produits industriels, la baisse
des
prix
des
produits qu'ils exportent, qui a entraîné une pénurie
de
devises, sont autant de facteurs affectant considérablement leurs capacités d'importation.{S}
La nature
des
marchandises offertes par ces pays _ essentiellement des produits énergétiques, des matières premières ou des biens de consommation peu sophistiqués _ constitue par ailleurs un frein à l'expansion
des
échanges commerciaux bilatéraux.{S} L'Union soviétique _ dont les fournitures à la RFA se composent pour les deux tiers
de
pétrole brut,
de
produits pétroliers ou
de
gaz naturel _ a été en 1988 le pays le plus touché par la forte baisse
des
cours
des
produits énergétiques.{S}
Ce pays, qui couvre environ 8 % des besoins en pétrole brut
de la
RFA, n'a pas pu compenser par un accroissement
de ses autres
exportations la baisse
des
recettes en devises qui en a résulté.{S} Malgré un accroissement substantiel depuis 1985
des
achats
de
pétrole et
de
gaz soviétiques par la RFA (respectivement de 50 % et de 35 %), le déficit commercial entre les deux pays a continué à se creuser pour atteindre 2,5 milliards de deutschemarks en 1988.{S}
Bien qu'elles se soient en général nettement redressées l'an dernier, les importations en provenance
des autres
pays
de l'
Est n'ont pas encore retrouvé leur niveau de 1985, à l'exception toutefois
de la
Hongrie.{S} Dans le cas
de la
Roumanie et
de la
Tchécoslovaquie, les livraisons se sont même contractées d'un peu plus de 12 % entre 1985 et 1988, tandis que les ventes
de la
Pologne diminuaient de 5,5 %.{S}
Ce recul est lié aussi à la chute généralisée
des
prix
des
produits de base,
des
biens intermédiaires et
des
produits agricoles.{S} Ces derniers représentent environ le quart des fournitures
de la
Pologne et
de la
Hongrie.{S} Les produits de base et les biens intermédiaires (essentiellement du fer, de l'acier, des métaux non ferreux et des produits chimiques) représentent, eux, environ 30 % en moyenne du total des importations
de la
RFA en provenance
de l'
Est (50 % des exportations
de la
Tchécoslovaquie).{S}
Compte tenu
de cette
vulnérabilité
des
économies
de l'
Est, la récente embellie dans les relations économiques avec la RFA ne peut s'expliquer que par la combinaison
de deux
facteurs : la pérestroïka se traduit par une plus grande ouverture sur l'Occident ;{S} ces pays ont un besoin croissant
de
biens d'équipement et
de
produits semi-finis étrangers, dont le paiement en devises n'est possible que par un accroissement
des
exportations.{S} De plus le rétablissement
du
cours
des
matières premières et
des
produits énergétiques intervenu récemment a eu des effets bénéfiques dont la RFA semble avoir profité au premier chef.{S}
L'Allemagne fédérale, dont la vaste gamme
de
biens d'équipement de haute technicité est très prisée par ces pays, jouit de surcroît
d'un
double avantage : sa proximité géographique et le transfert
de
technologie résultant notamment
de
joint ventures (voir encadré).{S} Selon le FMI, l'Union soviétique effectue plus de 10 % de son commerce extérieur avec la RFA, 20 % si l'on ne prend en compte que le groupe des pays industrialisés.{S}
Même chose pour les autres pays
de l'
Est dont les exportations à destination
de l'
Allemagne fédérale représentent 10 % du total de leurs ventes à l'étranger.{S} Cependant environ 15 % de leurs approvisionnements extérieurs proviennent
de la
RFA (comparée au total des importations en provenance
des
pays industrialisés occidentaux, la barre passe à plus d'un tiers).{S}
Les autres grands pays industrialisés _ France, Royaume-Uni, Italie, Japon et Etats-Unis _ viennent assez loin derrière avec un fléchissement encore plus net
de leurs
exportations.{S} La part
de la
RFA dans le total des ventes
des
pays industrialisés aux pays à économie planifiée était passée de 17 % en 1985 à 21 % en 1988.{S} C'est seulement avec la Chine que l'Allemagne fédérale joue un rôle moins important, se trouvant devancée par les Etats-Unis et le Japon favorisés par leur position géographique.{S}
Le récent redressement
des
ventes
de l'
Allemagne fédérale, notamment à la Pologne et à l'URSS, a un lien direct avec les efforts
de ces
pays pour moderniser leur économie grâce à la technologie occidentale.{S} Il n'est donc pas surprenant que les machines-outils représentent environ le tiers des exportations
de la
RFA vers l'Est contre seulement 15 % de l'ensemble de ses ventes à l'étranger.{S}
Les prévisions concernant l'évolution
des
échanges avec l'Union soviétique sont révélatrices : la part
de la
construction mécanique doit doubler d'ici à 1990.{S} Selon le ministre soviétique
des
machines-outils, Mr Nikolai Paritschev, à la foire de Hanovre, les achats à la RFA en 1988 ont représenté à eux seuls environ 12 % du total des exportations ouest-allemandes
de
machines-outils dans le monde.{S}
Comme toujours, pour le commerce avec l'Est, les perspectives
de
développement dépendent
de la
capacité
de ces
pays à obtenir de nouveaux crédits pour financer leurs importations.{S} L'année dernière, l'Union soviétique est arrivée en tête avec 37 milliards de dollars, devant la RDA (18,6 milliards), la Hongrie (11,5 milliards) , la Pologne (10,6 milliards), la Bulgarie (6,9 milliards), la Tchécoslovaquie (4,4 milliards) et la Roumanie (0,8 milliard).{S}
Alors que la RFA est le premier partenaire économique
de l'
Union soviétique à l'Ouest, les banques ouest-allemandes ont paradoxalement consenti moins de crédits à ce pays en 1988 que les banques françaises qui arrivent en tête
des
pays industrialisés avec 20,4 % du total, suivies par la RFA (15,7 %) et le Japon (14,9 %).{S} Ce dernier pays a également considérablement renforcé sa position en RDA et en Hongrie où il arrive en tête devant la RFA pour l'octroi
de nouveaux
crédits (soit respectivement 21,5 % et 30,3 % du total).{S}
La République fédérale reste néanmoins le plus gros pourvoyeur
de
fonds pour l'ensemble des crédits commerciaux octroyés à l'Est par l'Occident avec 19,9 milliards de dollars _ soit environ un cinquième, _ suivie par le Japon (16,5 milliards) et la France (14,5 milliards).{S} La Grande-Bretagne avec 9 milliards, et surtout les Etats-Unis (3,4 milliards) arrivent loin derrière.{S}
Les banques ouest-allemandes font preuve
d'une
extrême prudence à l'égard
de l'
Est,
notamment de la
Pologne, suite aux déboires enregistrées en 1983.{S} Elles ont depuis eu le souci de reconstituer leurs réserves, au détriment
de nouveaux
prêts.{S}
IL y a deux ans, l'Inde a fêté le quarantième anniversaire
de son
indépendance.{S} La Chine vient de célébrer l'instauration
du
régime communiste.{S} La voie chinoise se complaît dans les virages en épingle à cheveux ou les grands coups de balancier ponctués
de
crises dramatiques.{S} La voie indienne préfère les virages longs et les changements gradués.{S}
En mars 1989, un jeune Chinois, venu me voir dans ma chambre à l'Hôtel de Pékin (fait inimaginable sous Mao Zedong), m'exprimait la perplexité
de ses
compatriotes : " Pourquoi ne pouvons-nous pas suivre un développement économique équilibré ?{S} Un jour, la machine s'emballe, le lendemain, c'est un coup de frein brutal. " On peut en dire autant
de la
vie politique.{S} Sous Mao, de 1949 à 1957, politique prudente et pragmatique ;{S} 1958_1960, coup de boutoir
du
Bond en avant ;{S} 1961_1965, retour à la froide raison ;{S} 1966_1971, tornade
de la
révolution culturelle, puis alternance
du
chaud et
du
froid jusqu'à la mort de Mao, en septembre 1976.{S} Ces contrastes avaient de quoi désorienter.{S}
On pouvait espérer que Deng Xiaoping introduirait une ère nouvelle.{S} Il est vrai que les excès et les outrances
de la
révolution culturelle avaient disparu.{S} La Chine a connu un remarquable progrès économique, et la chape de plomb
du
parti s'était étonnamment allégée, permettant aux Chinois de vivre de manière beaucoup plus détendue que sous Mao.{S}
L' actuelle " reprise en main " ne veut pas dire que la Chine soit revenue à la case départ, car les acquis
de l'
ère Deng Xiaoping pourraient bien être durables : l'ouverture sur l'étranger, l'ouverture
des
esprits, les nouvelles volées de cadres bien formés et ne croyant plus aux " paroles creuses ", les gains
de l'
économie malgré les difficultés actuelles.{S} Toutes ces conditions faciliteront la future relance
des
réformes.{S} Néanmoins, dans l'immédiat, prévaut une profonde incertitude.{S}
Que se passera-t-il après la mort de Deng Xiaoping ?{S} D'ores et déjà, on peut prévoir une période
d'
instabilité, peut-être prolongée, jusqu'à ce que s'achève la transition entre les anciennes générations et ces jeunes Chinois qui rêvent
d'un
pays moderne,
d'une
économie plus performante dans un cadre politique conforme à la fois aux traditions
de la
Chine et aux aspirations
des nouvelles
élites et
des
masses.{S}
Pour comprendre l'Inde, au lieu de lire la Constitution et les rapports sur les plans quinquennaux, flânons dans les villes, regardons les campagnes.{S} La rue _ même les grandes avenues de New-Delhi _ est un tohu-bohu perpétuel par rapport à Pékin :{S} toutes sortes d'engins à moteur, à deux, trois ou quatre roues, pétaradant entre les voitures à cheval ;{S} les vélos zigzaguant avec deux ou trois passagers ;{S} le taureau couché en pleine rue au milieu
d'une
foule bariolée
de
sikhs à turban,
de
musulmans à calotte blanche,
d'
hindous marqués au front
du
signe de Shiva, et
de
" jeunes cadres dynamiques " en pantalon et veste saharienne.{S} La presse abonde en faits divers peu reluisants : bagarres, émeutes, troubles entre communautés, fraudes
de tel
homme politique, corruption (comme en Chine, d'ailleurs).{S}
Pays non gouverné et ingouvernable, pensera l'observateur superficiel.{S} Mais voilà bien le formidable paradoxe
de l'
Inde depuis 1947.{S} Elle se révèle l'un des Etats les plus stables d'Asie, réussissant à éviter ces crises dramatiques qui compromettent l'existence même
de l'
Etat, telles qu'en ont vécues la Chine, l'Indonésie, le Pakistan, l'Afghanistan, l'Iran.{S}
Grâce à l'apprentissage
de la
démocratie sous les Britanniques depuis la fin
du
siècle dernier, grâce, fait décisif, à Jawaharlal Nehru de 1947 à 1964, l'Inde a eu la chance et la capacité de mettre en place et de roder son système de démocratie parlementaire.{S} Or, malgré toutes sortes d'abus et de manoeuvres rebutantes, les institutions, comme l'armature juridique, continuent à tenir le coup.{S}
Que va-t-il se passer aux élections prévues pour la fin
de l'
année ?{S} La partie s'annonce serrée.{S} En cas de défaite
du
Parti
du
Congrès, l'Inde pourrait continuer d'exister sous un autre gouvernement, comme elle l'avait fait lors
de la
défaite d'Indira Gandhi aux élections de 1977.{S} Ainsi les institutions politiques rendent-elles l'avenir moins tributaire
des
hommes en place.{S} En substance, un tel système fonctionne grâce aux soupapes de sûreté que sont la liberté d'expression, le rôle
de l'
opposition, les possibilités
d'
alternance, alors qu'en Chine le Parti communiste reste tout-puissant.{S} Si les forces contraires dépassent la norme parce qu'elles n'ont pas d'autre moyen de s'exprimer, comme place Tiananmen, le régime recourt à la manière forte.{S}
En Inde, la vie publique est rythmée par les compromis qui évitent le point de rupture.{S} Enfin, il y a l'administration à New-Delhi et en province.{S} Par quel miracle ces cantonniers réparent-ils les nids-de-poule
d'une
route secondaire entre deux villages perdus ?{S} Comment les consignes en matière
de
développement agricole pénètrent-elles jusqu'au fond
des
campagnes ?{S} Malgré faiblesses et abus, les services publics fonctionnent.{S} Au niveau supérieur, des hommes recrutés par un très sévère concours jouent un rôle capital dans le fonctionnement
des
institutions et dans le développement.{S} Ils sont, certes, exposés aux manoeuvres
des
politiciens, mais ils ne peuvent pas être mis à la porte sans motif grave et légitime.{S}
Leur président à peine embaumé, les Chinois avaient commencé à faire leurs comptes : usure idéologique, aspiration à une vie meilleure, lassitude
d'un
système oppressant, erreurs économiques.{S}.. En Inde, à la même époque, sans remettre en cause leur système démocratique, les esprits clairvoyants s'interrogeaient sur les options économiques pratiquées jusqu'alors. " C'est le moment de devenir plus pratiques ", nous confiait, un des conseillers d'Indira Gandhi.{S}
A Pékin comme à Delhi, les mots-clés deviennent efficacité, productivité, libéralisation
des
pesanteurs bureaucratiques, ouverture sur l'étranger et ses technologies.{S} Derrière ces dénominateurs communs, de grosses différences sautent aux yeux.{S} La tâche
des
Chinois s'annonce beaucoup plus compliquée que celle
des
Indiens.{S} Pour les premiers, tout le système est à revoir, tandis que chez les seconds, il s'agit de rendre le secteur public plus performant et de donner plus de liberté au secteur privé.{S}
En dix ans (1979_1988), le PNB chinois a, en gros, doublé, entraînant une nette amélioration
du
niveau de vie ;{S} néanmoins, à partir de 1987, l'appareil économique s'est mis à grincer.{S} Après une envolée provoquée par la décollectivisation
de l'
agriculture et la libéralisation
des
petites industries rurales, la première a commencé à boiter : mauvaises conditions météorologiques, prix d'achat trop bas
du
grain, manque
d'
investissements publics dans l'hydraulique.{S}.. La Chine est redevenue, à concurrence
de 10 millions de
tonnes, importatrice
de
grain.{S}
La grande industrie
du
secteur public améliore, certes, ses performances, mais de sérieuses faiblesses de gestion subsistent.{S} Et les dernières mesures d'austérité aggravent le chômage, au point que cinquante millions de Chinois constituent une masse flottante en quête
de
travail.{S}
En Inde, les réformes accélèrent la croissance, qui passe à 5 % par an.{S} L'industrie privée, malgré certaines entraves, profite
des
mesures de libéralisation.{S} De nouvelles générations
d'
entrepreneurs vifs et débrouillards montent en ligne.{S} Le secteur public, quant à lui, présente des résultats mitigés, allant
d'
entreprises en net progrès à celles qui battent encore
d'une
aile.{S} Et, après avoir subi de mauvaises moussons de 1985 à 1987, l'Inde connaît des récoltes record en 1988, couronnant ainsi les efforts
du
gouvernement.{S} Elle devient à nouveau autosuffisante en grain.{S}
Reste la lancinante question démographique :
de 1,1
milliard, les Chinois vont passer à 1,3 milliard en l'an 2000, les Indiens
de 800
millions à près d'un milliard.{S} Une différence de taille, cependant : le taux de croissance chinois s'est réduit à 1,45 % environ sous l'effet
de
mesures draconiennes, alors qu'en Inde il reste proche de 2 %.{S}
Comment comparer les bilans
des
voies chinoise et indienne ?{S} Conséquence
d'une
idéologie beaucoup plus radicale, le recul
de la
misère est sensiblement plus marqué en Chine qu'en Inde.{S} La croissance industrielle, avant comme après Mao, a été plus nette.{S} Significatives sont, entre autres, les performances
des
exportations chinoises depuis dix ans.{S} En revanche, l'agriculture indienne fait un meilleur score.{S}
Autres aspects
du
bilan : les millions de Chinois massacrés après la victoire communiste en 1949, les 20 à 30 millions morts de faim à la suite
du
Bond en avant, les innombrables personnes maltraitées, emprisonnées, tuées pendant la révolution culturelle.{S} Comment pondérer ces faits face aux mendiants indiens, aux paysans sans terre à la limite
de la
survie, à tant de malheureux entassés dans les bidonvilles ?{S}
Et l'avenir ?{S} L'Inde a des chances raisonnables, sauf imprévu majeur, de poursuivre sur une voie sans virages en épingle à cheveux.{S} L'accélération mesurée
de la
croissance liée au grignotage plus rapide
de la
misère relève
de l'
art
du
possible, malgré les péripéties
de la
vie politique.{S}
L'avenir
de la
Chine se dessine moins clairement.{S} Comme l'ont montré (contrairement à l'Union soviétique) le Japon d'avant 1945, la Corée
du
Sud et Taiwan depuis lors, il est possible de faire coexister un pouvoir politique autoritaire et une économie dynamique.{S} Mais à un moment donné, le cadre politique doit se modifier.{S} Quand et comment se produira une telle mutation en Chine ?{S} Il serait étonnant que les Chinois, dotés
d'une
aussi riche civilisation, ne parviennent pas un jour à mettre au point un système politique et économique qui réponde à leurs aspirations.{S}
"NOUS ne sommes pas le duc
des
Sung ! " disait Mao ;{S} il faisait allusion à un épisode fameux
de l'
histoire chinoise.{S}
"Très mauvaise, répondit honnêtement Hua Yuan, nous en sommes à échanger nos enfants pour les manger.{S}
_ Tenez bon, dit loyalement Tzu Fan, nous n'avons plus nous-mêmes que six jours de vivres."
{S}Mao, comme Lénine, trouvait naïf de ne pas tricher pour vaincre.{S}
Au lycée, le rappel
de la
bataille de Fontenoy nous divisait en deux camps.{S} Citant Hannibal, Machiavel et Clausewitz, les réalistes prétendaient que la guerre abolissait toute règle ;{S} les moralistes dénonçaient l'absence de scrupule
des
Anglais.{S}
Nous étions tous dans l'erreur ;{S} la guerre était un jeu meurtrier selon les règles communes. " Messieurs les Français, tirez les premiers ", avaient proposé les Anglais ;{S} " Messieurs les Anglais, tirez les premiers ", avaient répondu les Français.{S} Les Anglais tirèrent : toute la première ligne française tomba.{S}
Les règles peuvent dégénérer, devenir caduques ou injustes ;{S} on peut les moquer, les violer, elles demeurent nécessaires et, en définitive, profitables.{S} La morale étant l'ensemble des règles qui régissent notre vie commune, il ne peut exister de société sans morale.{S}
En 632 av. J._C., le chef
des
armées Chin, ayant vaincu celles de Ch'u, au lieu de les exterminer, leur offrit trois jours de vivres.{S} Lorsque les armées de Ch'u furent victorieuses à leur tour, elles se conduisirent
de la même
manière.{S} Condamné injustement à mort, Socrate refusa de s'évader
de sa
prison : il ne voulait pas porter atteinte aux lois
de la
cité, même dirigées contre lui.{S} Il y perdit la vie, mais il paracheva, pour l'éternité, sa figure philosophique.{S}
A l'origine
du nouveau
mouvement
des
surveillants de prison se trouve le fait qu'ils n'ont pas obtenu grand-chose au printemps dernier et que l'augmentation
du
budget
de la
justice va être engloutie par les nouveaux établissements.{S}
Ces 13 000 places nouvelles me font irrésistiblement penser à la ligne Maginot.{S} Projet grandiose, onéreux... et parfaitement inadapté, qui va se réaliser en dépit
des
réticences de tous ceux qui travaillent sur le terrain.{S}
En novembre 1987, toutes les associations chargées de préparer le retour
des
détenus à la vie libre ont écrit au premier ministre ainsi qu'aux députés, pour attirer leur attention sur l'inopportunité d'ouvrir des nouvelles prisons dans des endroits éloignés
des
grands centres urbains.{S} Ce cri d'alarme est resté sans réponse.{S}
De plus, ce n'est pas tant
de
centres de détention pour moyennes peines dont l'administration pénitentiaire a besoin que
de
places dans les maisons d'arrêt.{S} 80 % des condamnés subissent moins d'un an d'emprisonnement.{S} Cela signifie que, sur une population
de 50 000
détenus, près de 44 000 séjournent en maison d'arrêt, soit 21 000 prévenus et 23 000 condamnés à de courtes peines.{S}
Or,
du
fait
des nouvelles
prisons, tous les projets de restructuration
des
grands établissements
de ce
type sont reculés sine die.{S}
En fait, deux conceptions
des
prisons s'affrontent.{S}
L'une selon laquelle les prisons doivent protéger la société en éloignant les auteurs
de
crimes et
de
délits et en les mettant hors d'état de nuire pendant le temps prescrit par le jugement.{S} La sanction doit jouer un rôle dissuasif.{S} Il importe peu, alors, que, comme les cimetières, ces prisons soient en rase campagne.{S} On respecte les règles d'hygiène et de sécurité, point, c'est tout.{S}
Cette vieille idée
de l'
effet dissuasif
de la
prison, nous vaut, bon an mal an, 65 % de récidivistes, chez les auteurs
de toute forme de
vols, notamment.{S}
Dissuasive, la prison ne l'est que pour les délinquants occasionnels, honnêtes gens fourvoyés dans la délinquance.{S} Les autres, jeunes ou moins jeunes, mais sans maturité, vivent l'instant et ne calculent pas les conséquences
de leurs
actes.{S}
L'éventualité
de l'
incarcération ne modifie pas leur comportement.{S} Tout au plus peut-elle pousser certains à des actes violents : tirer sur la police par exemple.{S}
L'autre conception exige
de la
prison une dimension éducative et lui demande d'éviter la récidive par la préparation à la liberté.{S} A quoi l'on peut objecter qu'il parait utopique de penser enseigner le bon usage
de la
liberté dans un univers totalitaire.{S} Car c'est bien de cela qu'il s'agit !{S}
Relisant les lettres de Custine, écrites de Russie en 1839, j'ai été frappée par des similitudes singulières entre cette monarchie despotique et le monde carcéral : l'un comme l'autre monde de secret, de défiance, de délation et donc de mensonge, monde
des
" formalités inutiles ", où " ce que dit et fait un inférieur n'a aucun prix ".{S}
Si l'on souhaite éviter la récidive, il ne faut pas que les prisons soient un monde sans droit, et il faut y créer des espaces de liberté qui permettent la spontanéité, l'improvisation, la libre expression et l'esprit d'entreprise.{S}
Ce n'est qu'autour
des
familles et
des
intervenants
de l'
extérieur qu'ils peuvent véritablement se développer.{S}
Créer des prisons dans des coins perdus où leur venue sera impossible, c'est compromettre l'avenir
des
détenus, et, à long terme, c'est mal protéger la société.{S} Devons-nous, pour cela, dépenser des milliards ?{S}
Rejeter les prisons en dehors
des
villes, cela ne signifie-t-il pas, aussi, que nous refusons de nous sentir concernés et responsables face à la délinquance et aux remèdes qu'il convient d'y apporter ?{S} Le général de Gaulle parlait
des
prisons comme
des
" poubelles
de la
France ".{S} Pour beaucoup d'entre nous, c'est encore ressenti
de cette
façon.{S} Sinon comment expliquer le peu d'intérêt
de nos
responsables politiques pour les difficultés
de l'
administration pénitentiaire ?{S} Que les personnels s'estiment victimes
de cette
indifférence n'a de quoi étonner personne.{S} En provoquant des mutineries coûteuses et dangereuses, ils se mettent dans leur tort.{S}
Derrière les murs, vieux ou neufs, c'est l'esprit qui doit changer.{S} Extra muros, c'est une réflexion sur les objectifs
de la
Justice qui doit commencer.{S}
IMAGINEZ un pays européen avec un boom économique digne de Singapour, mais avec des structures politiques médiévales propres au Bhoutan.{S} Où le Parlement est élu tous les quatre ans au suffrage universel, mais où les partis politiques n'ont pas droit de cité.{S} Où le chômage n'existe pas, mais où les syndicats sont interdits.{S} Où personne ne paye d'impôt, mais où la scolarité est entièrement gratuite.{S} Où le revenu annuel par habitant dépasse les 15 000 dollars, mais où les travailleurs immigrés n'ont aucun droit.{S}
Un tel pays existe.{S} Il est même situé aux portes
de la
France, et a en sus pour cosouverain... Mr François Mitterrand, conjointement avec l'évêque espagnol d'Urgel, Mgr Joan Marti.{S} C'est la principauté d'Andorre, terre placée sous le signe
du
paradoxe s'il en est.{S} Une principauté qui a toujours lutté pour préserver ses particularités, mais qui est aujourd'hui au bord
du
changement.{S}
Durant sept siècles, Andorre a su préserver son autonomie grâce à ce système original
de
coprinces qui a toujours assuré la neutralisation réciproque
de ses deux
grands voisins.{S}
Mais l'Espagne et la France, désormais, se retrouvent dans le même camp, celui
de la
Communauté, et c'est donc
d'une seule
voix qu'elles négocient avec les Andorrans, dont elles attendent à cette occasion de profondes réformes.{S}
Des réformes qui modifieront de fond en comble tant l'économie que les structures politiques
de la
principauté, et que les autochtones, montagnards traditionalistes, cherchent à tempérer. " Andorre est un édifice fragile, et on ne peut avancer que par retouches ", observe Mr Francesc Cerqueda, syndic, c'est-à-dire président
du
Conseil général
des
Vallées, ce parlement andorran héritier direct de celui créé au quinzième siècle.{S}
Bouleversement
du
modèle économique, d'abord :{S} Andorre ne connaît aujourd'hui ni l'impôt sur le revenu ni la TVA, et c'est ce statut de paradis fiscal qui est à la base
du
spectaculaire développement qu'elle a connu à partir
des
années 50.{S} L'imposition se réduit à de modestes taxes à l'importation qui fournissent 93 % des ressources
du
rachitique budget
de l'
Etat.{S}
Rien d'étonnant, dans ces conditions, si le secteur public contribue à peine, à raison de 8 %, à la formation
du
PIB :{S} un rêve pour les adeptes de Milton Friedman !{S} Andorre, c'est avant tout la quintessence
du
libéralisme, la virtuelle inexistence économique
de l'
Etat.{S}
C'est aussi paradis destiné à tout le monde.{S} Non pas aux institutions financières ou aux grandes sociétés, mais aux particuliers, aux douze millions de touristes (deux cent quarante pour chaque habitant
de la
principauté !) débarquant chaque année en rangs serrés dans ce gigantesque emporium qu'est devenu le centre d'Andorre-la-Vieille et d'Escaldes.{S} Des touristes assimilant l'image d'Andorre à celle
de la
bonne affaire... même si la réalité est aujourd'hui plus nuancée.{S}
La réduction progressive
des
taux de TVA et
des
barrières douanières entre les Douze a rogné en effet le différentiel de prix entre Andorre et ses voisins.{S} Et l'avancée vers le marché unique ne fera dans le futur qu'accélérer le processus.{S} Tant les autorités que le secteur privé sont d'ailleurs conscients qu'Andorre ne peut éternellement voir le salut dans son seul statut fiscal.{S} " Nous n'exigeons pas de préserver une situation qui ne peut l'être, assure Mr Josep Pintat, président
du
gouvernement andorran.{S} Nous sommes parfaitement conscients
des
réalités européennes, et nous savons que la Communauté veut éviter que nous représentions une brèche dans son système douanier, surtout en prévision
du
marché unique. "
" Notre force doit résider aussi dans la variété
de l'
offre, dans la nouveauté
de nos
produits, reconnaît
de son
côté un important commerçant d'Escaldes.{S} Il faut que nous attirions un nouveau type de touristes : pas seulement l'acheteur
du
week-end, mais aussi celui qui vient à la recherche
de nos
paysages,
de nos
montagnes.{S} Et ce touriste-là achètera tout autant que l'autre, si l'offre commerciale se distingue autant par la qualité que par le prix. " {S}Beaucoup semblent d'ailleurs commencer à la comprendre, si l'on en juge par la multiplication
des
commerces " haut de gamme ", tels que bijouteries et parfumeries de luxe, qui disputent de plus en plus la rue principale d'Andorre-la-Vieille aux supermarchés.{S} Le président
de l'
Union
des
hôteliers, Mr Luis Munoz, n'est pas
d'un
avis différent : " Andorre devrait disposer
d'une
infrastructure touristique bien plus diversifiée que l'actuelle.{S} Ce qui suppose que l'Etat y consacre les investissements nécessaires.{S} " Et d'ajouter, sur le ton
de la
confidence : " Et pour y parvenir, il faudra bien instaurer finalement l'un ou l'autre type d'impôt. "
{S}Impôt ;{S} le mot tabou est lâché !{S} Pour avoir émis une suggestion semblable, le prédécesseur de Mr Pintat à la tête
du
gouvernement, Mr Oscar Rivas, avait provoqué un tel tollé qu'il avait dû démissionner.{S} Dans ce paradis
du
libéralisme pur et dur, nombreux furent ceux qui y virent un premier pas vers le communisme !{S} Mais l'idée, depuis, fait son chemin, et, en privé, certains reconnaissent qu'il faudra bien, à un moment ou à un autre, en passer par là, quel que soit le type d'imposition, directe ou indirecte, finalement retenu.{S}
Certes, les Andorrans ne renonceront pas de gaieté de cSur à leur situation privilégiée actuelle.{S} Une situation qui permet par exemple, en ces temps de boom immobilier à Andorre-la-Vieille, de réussir de fructueuses opérations spéculatives sans payer la moindre taxe sur les plus-values réalisées.{S} Ou aux sept banques installées dans le pays d'accumuler de confortables profits en fonctionnant à la manière
d'un
oligopole (l'installation
de nouveaux
établissements financiers est interdite) sans payer la moindre peseta d'impôt !{S}
Les Andorrans n'en ont pas moins conscience que l'époque dorée est en train de prendre fin, et qu'il s'agit désormais, en définissant leurs rapports avec la Communauté, de se plier progressivement à des canons plus européens.{S} Non seulement, d'ailleurs, dans le domaine économique, mais aussi politique.{S} D'autant que le maintien
de
structures institutionnelles héritées
du
Moyen Age commence à faire figure d'élément de distorsion dans le contexte
d'une
économie qui se transforme à marche forcée.{S}
Ainsi, comment se refuser indéfiniment à reconnaître le droit d'association, de grève ou de manifestation, alors que le boom économique place les employeurs en position
de
demandeurs sur le marché ?{S} La crainte
des
autochtones répond, il est vrai, à de réelles préoccupations démographiques : la principauté compte huit mille cinq cents Andorrans contre... quarante mille cinq cents résidents étrangers, espagnols dans leur grande majorité.{S}
Les Andorrans ne constituent que 17 % de la population
de leur propre
pays !{S} Et les règles d'acquisition
de la
nationalité restent toujours des plus strictes, malgré un léger et récent assouplissement. " L'actualité espagnole nous montre le poids politique dont peut disposer une organisation ouvrière, souligne le syndic Mr Cerqueda.{S} Et les Andorrans craignent que ne se constitue dans leur pays un syndicat où seraient majoritaires des personnes qui ne sont chez nous que de passage et qui ne se préoccupent guère
du
futur économique
du
pays. "
{S}Un réflexe d'extrême droite... mais compréhensible dans un pays où les résidents étrangers sont près de cinq fois plus nombreux que les nationaux ! " Faites un référendum, et je peux vous assurer que l'écrasante majorité des Andorrans seront opposés à la création
de
syndicats ", assure Mr Pintat.{S}
Certes, la défense
de l'
identité nationale permet également de justifier de plus inconfessables intérêts. "
{S}L'oligarchie andorrane joue la carte
du
nationalisme pour justifier son antisyndicalisme, assure Mr Antoni Roig, espagnol vivant depuis vingt-cinq ans dans la principauté, et président
de l'
Association
des
résidents étrangers d'Andorre, qui fait en fait office de substitut syndical.{S}
" Il est pour le moins étrange que les syndicats ouvriers soient interdits, alors que les associations patronales, elles, sont autorisées.{S} Le problème de fond, c'est la volonté de maintenir un capitalisme sauvage où le licenciement est pratiquement libre et où les travailleurs étrangers n'ont virtuellement aucun droit. "
{S}Reste que, là aussi, la situation commence à évoluer.{S} Une " loi sur le droit
des
personnes " a été adoptée en avril dernier, élaborée directement par les deux coprinces.{S} Elle assure la reconnaissance explicite par la principauté
de la
Déclaration
des
droits
de l'
homme de 1948... mais s'en remet aux différents ministères pour leur application effective.{S} Une formule ambiguë, qui permet à chacun d'interpréter la loi à sa manière, mais qui a le mérite de commencer à débloquer, enfin, l'un des problèmes les plus délicats à lesquels ait aujourd'hui à faire face la principauté, et qui lui a déjà valu d'être dénoncée à plusieurs reprises devant le Conseil
de l'
Europe.{S}
Tout évolue donc à Andorre, mais en douceur, à pas comptés, à la manière prudente
d'un
peuple
de
montagnards... qui doit faire face, toutefois, aux discrètes pressions
de ses deux
coprinces désireux d'accélérer le rythme.{S} Car la politique andorrane est un complexe jeu à trois, où le gouvernement local et chacun des deux cosouverains tirent à hue et à dia, et où le consensus entre toutes les parties est, dans ces conditions, souvent ardu.{S}
D'accord face aux Andorrans pour se faire les avocats
des
réformes, les deux coprinces n'en font pas moins souvent figure
de
rivaux développant chacun sa propre stratégie politique.{S} Ainsi, l'évêque d'Urgel affiche une grande compréhension face à la revendication
des
Andorrans
d'une
plus grande reconnaissance internationale : une manière d'accroître
de la
sorte sa propre importance au-delà
des
frontières !{S}
Du
côté français, par contre, où une telle préoccupation ne se pose évidemment pas, les priorités sont apparemment inverses. " La querelle sur la reconnaissance internationale est byzantine, assure le " viguier " (représentant
du
co-prince) français, Mr Jean-Pierre Courtois.{S} Pour y aspirer, il faut au préalable être capable de moderniser ses structures. "
{S}Face à ces deux coprinces, alliés et concurrents à la fois, les institutions andorranes,
de leur
côté, cherchent progressivement, par la tactique
du
grignotage, à accroître leur marge d'autonomie, ce qui ne va pas sans conflit.{S} Nombre de lois élaborées par le conseil général
des
Vallées souffrent
du
veto
du
pouvoir de tutelle.{S} Ainsi, un texte sur l'aviation civile, définissant les conditions de survol
de la
principauté, a été bloqué par le viguier français, tandis qu'une autre instituant le mariage civil, toujours inexistant, a connu le même sort
du
fait
du
viguier épiscopal, Mr Francesc Badia.{S}
Comme l'affirme ce dernier, " personne ne remet en question l'existence même
des deux
coprinces, mais les hommes politiques andorrans cherchent à s'attribuer petit à petit leurs prérogatives ".{S} Et l'image
de deux
coprinces " régnant mais ne gouvernant pas " est de plus en plus souvent évoquée à Andorre-la-Vieille.{S} L'apparition
d'une nouvelle
génération ayant davantage accès aux études (on compte désormais huit cents universitaires) a favorisé l'émergence
d'un
nationalisme andorran aspirant à s'affranchir
de toute
tutelle extérieure.{S}
" puisque on nous parle tant
des
droits démocratiques, commençons donc par le droit à l'autodétermination, lancent les " jeunes loups "
de la
politique andorrane à qui l'on parle de nécessaire modernisation.{S} Tout est effectivement fruit
de
délicats équilibres en terre d'Andorre : de délicats équilibres qui se trouvent tous bouleversés en même temps !{S}
Andorre a fêté en 1978 le septième centenaire
de son
système politique actuel.{S} C'est en 1278 que le roi Pierre II d'Aragon et de Catalogne décida, par un jugement à la Salomon, d'attribuer conjointement la souveraineté sur Andorre aux deux puissances qui se la disputaient : les évêques d'Urgel
d'un
côté, et les comtes de Foix de l'autre, qui venaient d'hériter
des
droits sur la région
d'une autre
famille noble
du
sud
de la
France, les Castelbon.{S}
Depuis, les deux coprinces ont exercé leur pouvoir de manière indivise, ce qui n'est pas allé parfois sans provoquer quelques tiraillements !{S}
Du
côté espagnol, rien n'a changé en sept cents ans, l'évêque d'Urgel ayant conservé ses droits.{S}
Du
côté français, en revanche, le parcours fut plus heurté : le titre de coprince passa, par mariages successifs,
des
comtes de Foix aux vicomtes de Béarn, aux rois de Navarre et, finalement, aux rois de France.{S}
La décapitation de Louis XVI posa toutefois un grave problème de succession.{S} Bien décidée à rejeter tout vestige
de l'
Ancien Régime, la Révolution française refusa pendant une quinzaine d'années de reconnaître cette vassalité andorrane qui paraissait contraire aux nouveaux principes d'égalité.{S} Ce fut finalement Napoléon qui rétablit, à la demande
des
Andorrans eux-mêmes, la suzeraineté
du
chef
de l'
Etat français sur la principauté, qui s'est désormais conservée quels que soient les avatars
de la
politique française.{S}
Dans ce pays de droit coutumier, où le fait acquis compte davantage que le texte, la délimitation
des
compétences entre coprinces et autorités andorranes n'a cessé de donner lieu à des conflits.{S} Contrairement au Liechtenstein ou à Saint-Marin, Andorre n'est pas reconnue internationalement comme un Etat.{S}
Les deux coprinces jouissent donc
de toutes les
prérogatives
de sa
représentation internationale.{S} Ils sont de même en charge, à travers leurs représentants sur place, les " viguiers ",
de l'
administration
de la
justice et
de l'
ordre public.{S}
Traditionaliste en politique, technocrate sur le plan économique :{S} Antoni Ubach reflète à merveille les contradictions
des
" jeunes loups "
de la
principauté !{S} Directeur
de la
Caisse andorrane de sécurité sociale, il est, à quarante-quatre ans, l'un des hommes les plus importants
du
pays, puisque il manie un budget qui atteint près de la moitié du budget
des
administrations publiques.{S}
Parlez-lui
de
gestion, et il se fera l'apôtre
de la
modernité, n'ayant d'yeux que pour l'informatisation intégrale et les techniques de pointe.{S} Mais parlez-lui
de
politique, et il se fera le défenseur
d'
institutions médiévales qui, assure-t-il, ont amplement démontré leur adéquation aux particularités andorranes.{S}
" Ne plaquons pas artificiellement sur notre pays les schémas
des
pays voisins ", se plaît-il à répéter.{S} Double face.{S} Sa trajectoire symbolise en tout cas la rapidité et l'insolite
du
" boom " andorran.{S} Une trajectoire l'ayant amené à la tête
d'un véritable
Etat dans l'Etat qui investit à tour de bras
des deux
côtés
des
Pyrénées.{S}
Comment la Sécurité sociale a-t-elle pu devenir aussi puissante dans ce pays symbole
du
libéralisme sauvage ?{S} Les pressions
de l'
Espagne en sont sans doute la cause, lorsque, dans les années 60, le gouvernement de Madrid demanda instamment aux autorités andorranes que les entreprises
de la
principauté employant des travailleurs espagnols cotisent à la Sécurité sociale espagnole.{S} Mais les Andorrans préférèrent créer, en 1967, leur propre caisse.{S}
Mr Ubach en devint le directeur.{S} Aidé par un membre
de l'
inspection générale
des
affaires sociales dépêché par le gouvernement français, il allait monter ex nihilo, en quelques années, un système de protection incluant les frais de santé, les pensions de retraite, de veuvage et d'invalidité, et où ne manquent que les allocations familiales et de chômage.{S}
La Caisse allait rapidement se retrouver avec un important excédent, grâce à un rapport très favorable entre cotisants et prestataires.{S} D'autant que l'âge moyen
de la
population active andorrane n'est que
de trente-deux
ans, et a tendance à rester stable, en raison
du
rapide renouvellement
des
travailleurs immigrés qui restent en général peu de temps dans la principauté.{S}
Aussi, Mr Ubach s'est-il lancé dans une audacieuse stratégie
d'
investissements tous azimuts.{S} En obligations d'abord, en titres à rendement variable ensuite.{S} De Sud-Radio à Toulouse à Radio-Renaissance au Portugal, en passant par une radio de Barcelone et par une société conjointe avec la CLT luxembourgeoise, le secteur
de la
communication est devenu, avec celui
des
loisirs, l'un des principaux bastions
de la
Caisse.{S} Avec elle, ce sont les investisseurs andorrans qui, pour la première fois, partent à leur tour à l'assaut